☞ J’adore me réveiller le matin sans savoir ce qu’il va m’arriver, qui je vais rencontrer, où je vais échouer. Je pense que la vie est un don et je ne veux pas le gâcher, on ne sait pas quelle donne on aura le jour suivant, on apprend à accepter la vie comme elle vient, pour que chaque jour compte.

« Mademoiselle, nous sommes absolument enchantés de faire votre connaissance, » commença l'homme qui se tenait face à elle, en croisant les jambes devant lui pour adopter vraisemblablement une posture aussi confortable et encline à la décontraction, que celle privilégiée par son invitée. Lüx se tenait en effet nonchalamment assise sur une chaise qu'on lui avait indiqué quelques minutes plus tôt et observait désormais son interlocuteur avec un intérêt vif luisant au creux de ses rétines fauves et l'excitation qui l'animait transparaissait par tous les pores de sa peau. Un délicat sourire apparut sur les lèvres vermeilles de la concernée, à l'accueil chaleureux du représentant de Julliard ; « Je vous remercie monsieur, c'est un honneur et un plaisir de pouvoir m'entretenir avec vous, pour ces quelques instants que vous m'accordez. » répondit-elle, soucieuse et consciente d'être l'heureuse élue des faveurs rarissimes des têtes hautes de l'institution et que cela n'étant nullement accordé à tout le monde, elle se devait de demeurer exquise. « Le plaisir est partagé, » termina-t-il, avec chaleur, comme pour conclure les bienséances futiles de cette entrevue, brisant ainsi la glace. « Alors Lüx, racontez moi un peu votre fabuleuse histoire. » s'enquit cet homme en se penchant légèrement vers elle, comme si elle s'apprêtait à s'abandonner à des confidences secrètes. « Je suis née à Stevenage, vous ne connaissez probablement pas, c'est dans l'est de l'Angleterre, » commença-t-elle avec une assurance dont elle ne se savait nullement dotée. Mais peut-être était-ce les attentions amicales de son interlocuteur qui lui permettait de se livrer avec tant d'aisance. « Mon père est un lord. Ma mère l'a rencontré lorsqu'elle exerçait là-bas, elle est orthophoniste et d'après ce qu'elle m'a toujours dit, elle aidait mon père à élaborer ses discours, parce que comme moi, il avait du mal à s'exprimer en public. Ils ont divorcés quand j'avais sept ans, parce qu'il avait énormément de travail et elle ne supportait plus de rester seule à la maison. Donc nous sommes partis pour New-York et là a commencé ma vie. C'est comme si je n'avais jamais vécu ailleurs. » Elle fronça légèrement les sourcils. Comme à l'accoutumée, elle était désarçonnée par l'absence de souvenirs antérieurs à ceux où elle s'installait pour la première fois à Brooklyn. Elle aurait pu croire que cela était la vie d'une autre. « Quand avez-vous commencé à développer vos aptitudes ? » poursuivit-il, ne remarquant nullement le trouble passager de la Whitmore. « Et bien, ma mère m'a toujours dit que j'étais une virtuose, que je n'avais aucune difficulté à apprendre, tant que le domaine m'intéressait. Elle m'a inscrite dans des cours de danse, classique et contemporaine, puis à des cours de violon lorsque j'ai découvert la beauté de cet instrument. Et enfin, le solfège. Je n'ai jamais cessé d'exercer depuis. » Un sourire indescriptible s'étira sur les lèvres du représentant, qui songea que de telles capacités avaient largement eu le temps de mûrir ; il le savait pour être tombé à plusieurs reprises sur les compositions de la demoiselle. Un véritable génie, elle apporterait tant de nouveautés à l'école. « Et qu'est-ce que vous faîtes pendant votre temps libre ? Dite moi tout. » ajouta-t-il. « La journée je traîne chez moi, mes amis me disent souvent que si je n'étais pas si sociable, je resterais dans ma chambre jours et nuits. J'aime mon ordinateur, je suis une véritable geek des fois, lorsqu'il s'agit de créer des codes, ou faire des créations. » Elle occulta volontairement les multiples hack informatique qu'elle avait orchestré, cela ferait tâche sur son dossier. « Sinon je sors. Au cinéma, au magasin de comics. J'aime aussi la fête, ce qui va avec, comme toutes les filles de mon âge. Il faut bien que je décharge mon quota d'exubérance, » dit-elle avec un rire éthéré qui amusa son interlocuteur. C'était une passionnée, une flamme vive qui brûlait avec virulence les craintes aiguisées de ce monde, une jeunesse irresponsable charmante . « Vous êtes exceptionnelle, Julliard ne saurait se passer de vous. À dans deux ans, Lüx. »

☞ Je n’aime plus le monde dans lequel je vis ! Et tous les gens autour de moi... et l’inertie de mon existence qui se dérobe sous mes pas, sans que je puisse l’en empêcher... J’ai l’horrible impression d’être dans une pièce pleine de monde et j’ai beau hurler comme une folle, il n’y a personne qui se soucie de moi !

Je regardais cette jeune femme qui se tenait fièrement sur son siège de velours, armée d'un violon qu'elle déposa sur son épaule gracile, avant de se saisir adroitement de son archet qu'elle déposa sur les délicates cordes de son instrument. Un silence accueillit l'immobilité soudaine de la musicienne et après un bref instant supplémentaire, elle s'anima ; des notes s'élevèrent de ses gestes virulents, des sons que je n'avais jusqu'alors jamais entendus. Mon myocarde se contracta d'amour dans ma poitrine, alors que j'observais cette ingénue créer un miracle de beauté musicale. Elle ne faisait pourtant preuve d'aucune ostentation et son titre seul n'aurait suffit à captiver l'esprit de la pièce entière. C'était un magnétisme indescriptible qui s'exerçait sur la foule amassée autour d'elle ; elle jouait une symphonie rythmée pour nos coeurs, et à l'unisson, nous lui répondions. Le temps et l'espace semblait se figer ; cinq secondes ou cinq heures, la durée n'aurait pas suffit à satisfaire mon désir de l'écouter davantage. Mais bientôt, la musique lascive de la jeune fille s'évanouit et les applaudissements brutaux de son public éclatèrent, abrutissant mes tympans assourdis par sa musicalité. Je restais dans un coin de la pièce, examinant la fille du Lord de loin ; elle était belle, comme une rose épanouie et d'où je me trouvais, je me sentais enivré de son parfum exotique. Elle fut délaissée après quelques minutes de jérémiades élogieuses et j'en fus outré, blessé de voir que le monde pouvait être aveugle à un tel joyaux. Je m'approchais donc, à pas lents de la jeune femme et lui murmurais « Je n'ai jamais vu telle prestation mademoiselle, je tenais à vous féliciter. » Elle tourna vers moi ses rétines fauves qui l'espace d'un instant me pétrifièrent ; un charme extatique duquel jaillissait une prestance intimidante. Cette jeune fille, ne l'avais-je jamais entre-aperçus et le regrettais-je à cet instant précis. Quelques mois plus tôt, elle ne ressemblait en rien à cela. La métamorphose du papillon.

Lüx sourit délicatement, s'enveloppant dans une réserve qui était désormais la sienne lorsqu'un homme venait l'aborder de la sorte et qu'elle n'était aucunement capable de se livrer à sa spontanéité usuelle. Elle lia ses mains devant elle, acceptant les congratulations du jeune homme qui devait avoir une vingtaine d'années et ce dernier saisi son bras, comme pour l'inviter à marcher jusqu'aux couloirs du manoir dans lequel la demoiselle vivait. « Que souhaitez-vous accomplir l'année prochaine ? » s'enquit-il, avec cet accent anglais auquel elle avait encore tant de peine à s'habituer. Son estomac se souleva à l'énonciation de ses projets futurs, qui semblaient tous compromis depuis le début de l'été ; depuis qu'elle avait ingurgité cette friandise inconnue qui l'avait doté de qualités incontrôlables. « Et bien, je ne sais pas. Cela dépendra, sans doute, de comment se déroule certaines affaires. » répondit-elle, en éludant ses paroles. Un éclair sembla traverser les prunelles du jeune homme, qui l'interrogea du regard ; « Toi aussi tu as mangé ce … truc ? » Il semblait désormais enthousiasmé. Lüx quant à elle, se contenta d'hocher la tête, ne partageant nullement son excitation. « Mais n'est-ce pas merveilleux tout ces pouvoirs ? On peut faire ce qu'on veut désormais ! Pourquoi tu sembles si … enchaînée. La vie ici ne te plaît pas ? Tu n'as qu'à en changer ! Tu le peux et … » - « Tu ne sais franchement pas de quoi tu parles, dit-elle en serrant les dents pour conserver le ton aimable qui devait être sien à tout instant. Je suis forcée de me rendre là-bas et je n'en aie pas la moindre petite envie. Je devais aller à Julliard, affiner mes compétences, aller au conservatoire en Hongrie, je ne sais pas, mais pas ça. Je me retrouve dotée de .. pouvoirs et rien ne va plus. Plus rien n'a d'importance, puisque mon père souhaite obéir aux indications de la politique sorcière, je ne veux plus le décevoir, je n'ai plus que lui. » - « Ta mère est … ? » demanda-t-il, laissant sa phrase en suspens. « Non, elle a un Alzheimer. C'est tout comme. » Lüx se tût, peu désireuse de poursuivre cette conversation qui ne ressassait que les innombrables réflexions qu'elle avait mené ces dernières semaines. Elle devrait aller à cette institution et faire une croix sur ses désirs, sur son essence même. Elle devait s'oublier, se perdre, se détruire.