Il paraît que les moldus, avant l'affaire Fizwizbiz, rêvaient de faire partie d'un monde magique. Licornes, dragons, sorciers, tout ça. J'ai jamais compris comment on pouvait passer à côté d'un monde qui est sous notre nez. Certains sorciers sont tellement flagrants, sans déconner. Mais je vous l'accorde, si je ne comprends pas, c'est sûrement parce que moi j'ai toujours eu la chance de connaître ça. Si j'avais étais une moldue, j'en aurais sûrement rêvé aussi. Oh, laissez-moi savoir ce que ça fait de pouvoir s'imaginer quelque chose comme un monde entier. Laissez-moi...

Il est vingt heures et mère n'est toujours pas rentrée. Au cas où elle arrive, je me cache sous ma couette pour lire mon livre. Le corbeau et autres poèmes, de Poe. Mon sourire s'élargit au fur et à mesure que les mots défilent sous mes yeux. « Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. » Dans le couloir devant la chambre, j'entends sans écouter les pas de ma mère qui cognent contre le plancher en bois. Elle ne reste devant la porte qu'un instant tous les soirs, et repart comme elle est venue quand elle a vérifié qu'aucune lumière ne passe sous la porte. Elle est ainsi persuadée que je me suis endormie, assoupie, dîtes ça comme vous le voudrez. Mais je lis, relis et lis encore, jusqu'à en tomber de fatigue, là, mon livre sur le cœur. Je n'ai que huit ans.
Et le lendemain, j'en ai déjà le double. Le double de vie, de joies, de rires, de pleurs, d'emmerdes. Et deux fois moins d'insouciance pour deux fois plus de problèmes. La vie est ainsi faite que le temps passe de plus en plus vite, et que les emmerdes ralentissent de deux fois le temps. Les aiguilles de la vie s'agitent dans tous les sens, à l'endroit et à l'envers, en travers et se retournent pour reprendre leur course sans logique. Course à quoi, allez savoir. Elles jouent et parient sur celui qui résistera le plus longtemps avant de devenir fou, celui qui laissera ses aiguilles se régler et se dérégler à leur bon-vouloir, et celui qui bougera enfin son cul pour régler les passages de ses aiguilles. Mais au final, ce jeu est pour eux comme pour nous des plus emmerdant. On finit par être celui qui regarde les aiguilles en soupirant, et tout devient fade à un moment ou un autre. Pour une raison ou une autre. La mienne est blonde avec de grands yeux bleus. Transperçants, profonds, si profonds, sans fin...
Elle tenait encore ma main hier. Rien ne nous aurait séparé; et pourtant. Au final, je me rends compte que j'avais construis ma vie autour d'une personne. Et quand elle part, quand ils partent tous à un moment ou un autre, tout s'effondre. On occupe le temps comme on peut, mais on reste obsédé. Et on trouve finalement un échappatoire. Ç'aurait été le quidditch si nous n'avions pas été dans la même équipe. Ç'aurait été les cours si nous n'avions pas été dans la même classe. Nous étions partout à côté. Et tout devenait fade.
Je ne m'attarderai pas même sur les cours; aussi emmerdants que Nelson Monfort. Alors je sais pas, je me dis qu'il serait préférable d'aller teindre la crinière d'une licorne, d'écraser l'égo sur dimensionné d'un serpentard ou d'aller tondre un mouton d'albanie. Tout pour ne pas rester là, à écouter faute d'avoir rien d'autre à faire, tout pour pas sortir à la prochaine sonnerie et croiser tous ces moldus, tous ces serpentards et autres. Tous font comme si c'était normal, mais rien ne l'est. Poudlard n'est plus Poudlard ni tout le monde le connaît, si tout le monde est un sorcier ou une sorcière, et surtout pas si tout le monde agit comme si c'était dans la nature des choses. Cette affaire, c'est juste pour semer la merde chez nous. Les moldus sont faits pour rester dans leur monde sans magie et rêver au nôtre, pas pour s'y incruster. Arrêtes de faire comme si c'était normal si ça l'est pas. Leur mentez pas en disant qu'ils seront acceptés mais surtout vous mentez pas. Un moldu reste un moldu.
Et tout devenait fade. Elle a lâché la main.