Le banc gémit.
Première arrivée. Dernière partie.
D’une fidélité que n’émousse pas le temps.
C’est un amour constant et charnel. Une jouissance physique, féroce. Une envie. Un besoin. Une addiction.
Tu le sens. En toi. Sous ta peau. Déjà dans ton corps. Dans ton âme. Jamais rassasiée, tu réclames plus d’un grognement frustré. Tu accélères le rythme. Tu sais que tout va bientôt disparaître.
Tu l’engloutis et montes brusquement les sept étages célestes.
Oui, tu es dans la plénitude la plus totale.
Tu manges un cupcake.
Enfin, un cupcake et sa cinquantaine de petits-frères. Tes papilles sont en pleine partouze, débordée par les doses massives, et pourtant habituelles, de sucre que tu leur imposes comme un marathon du gras. Tu te dépêches. Tu engloutis tout ce que tu peux. Parce que dans trois secondes, c’est petites putes d’elfes vont t’arracher ton orgasme culinaire.
En effet, à peine agrippes-tu une dernière pâtisserie au pamplemousse que ton coït alimentaire se voit interrompu.
On l’aura remarqué à ta silhouette de rêve, tu as toujours entretenu un rapport très particulier avec la bouffe. Aussi, il est facile d’imager dans quel état de veuvage tu te trouvais face à cette règle complètement débile qui exigeait le retrait de toute forme de comestibilité dans la Grande Salle passé trois heures de repas, comprenez banquet, de midi.
Enfin. Veuve éplorée, veuve éplorée. Disons que le chagrin ne l’empêche pas d’exploser un verre de rage sur le sol.
Les quelques élèves assez cinglés pour avoir traîné sur les lieux jusqu’à cette heure tardive avec la vision assez immonde de toi digér-aimant prennent conscience de leur erreur et tentent de s’écarter. Tentent de fuir.
Tu hésites à en éborgner un à coup de petite cuiller puis, remarquant que les couverts ont également disparus, te résignes à laisser intacte la constitution physique de ton entourage. Te relevant cérémonieusement, tu agrippes le petit rescapé à glaçage rose, décides de le garder pour la route et t’avances jusqu’aux immenses portes, ton estomac gargouillant déjà des réclamations de supplément.
Tu croises un deuxième année. Sans hésitation, tu lui balances vivement ton sac dont le tissus est entièrement recouvert d’écussons aux couleurs de ta maison et, d’une voix où roulait un parfaitement inventé accent roumain, lui ordonne de l’amener en salle d’enchantements d’ici deux heures. Tu n’as même pas besoin de son regard terrorisé, quoique tu préférais encore les termes humble et admiratif, et de la tâche humide que tu devines au niveau de son entre-jambe pour savoir qu’il y sera sans faute.
Tu avais toujours eu un don pour trouver des assistants désignés volontaires de qualité.
Tu montes lentement les escaliers mouvants, titillant du bout de la langue la crème de ton petit gâteau, comme pour faire durer plus longtemps le plaisir. De l’autre main, tu replaces ton diadème.
Ouais. Un diadème. Faut bien faire comprendre par un moyen ou un autre aux attardés qui te servent de sujets qu’il y a une hiérarchie sociale un peu plus évoluée que les petits badges du prefectorat. Toi, tu réclamais un statut privilégié, instinctif. Un droit du sang, suprême, incontestable. Karmique. Un concept cosmique gravé dans leurs gènes inférieurs à coup de poings dès le bac-à-sable. Une règle tribale. Immuable. Primitive. La loi du plus fort.
Fort. Forte. Grosse.
Fallait pas avoir potassé Aristote pour comprendre le rapport. Simple règle de trois grammaticale.
Dans ces conditions, nul ne devait douter que tu étais la plus forte de tous.
Ton diadème, fut-il en plastique, c’est un peu un spot de propagande. T’es l’homme-hot-dog des conventions sociales.
La seule différence réside dans le respect. Bah ouais, tu te ballades en saucisse géante, on se fout ouvertement de ta gueule. On te crache dessus. Tu tombes sur le sol, on te donne un coup de pied en espérant que tu roules. T’es le divertissement publique.
Avec une couronne, les gens s’extasient devant ce truc qui brille et chialent devant tes poings. Si ils ricanent, c’est dans ton dos, et le tien est suffisamment large pour encaisser. Si tu tombes, tu n’as pas besoin de leur aide pour leur rouler dessus. T’es la terreur publique.
La Terreur. C’est exactement ça que tu eux imposer autour de toi. Un régime politique en toc. Mais suscitant l’émoi des plus faibles. A l’image de ta tiare.
Après tout, cette connerie à trois mornilles était déjà le principal sujet de convoitise de la semaine des premières années. Les prépubères, le genre à faire du pédalo sur le Lac Noir et à se prendre pour des racailles parce qu’elles ont une décalcomanie au-dessus du cul, étaient fascinées par cet accessoire depuis que, tu t’étonnais encore de la crédulité de ces petites connes, tu leur avais annoncé, sourire Colgate aux dents, que c’était celle de Serdaigle. Légende urbaine de la joaillerie perdue qui était censée te donner toutes les bonnes notes dont ton dossier avait désespérément besoin pour qu’on te donne ton diplôme. En plus de compléter un look parfait.
Bandes de sombres abruties, comme si tu te souciais de ton avenir scolaire.
Il semblait que ces petites vierges fleurant la crème anti-acné bon marché avait développé une propension proprement écoeurante à ne pouvoir vivre sans tapisser de leur langue dévouée la semelle de quelqu’un de plus puissant qu’elles.
Documentaire animalier ambulant, cette particularité largement affichée te répugnait presque autant qu’elle te fascinait. Tu avais rapidement déterminé qu’il y avait tout intérêt à laisser leurs penchants morbides s’exercer sur tes Louboutins blanches plutôt que sur n’importe qu’elle mule boueuse et bas de gamme d’une prof ou l’autre à l’IMC inférieure à 23 et incapable du moindre sévices sexuels.
C’est ainsi que ta tenue du jour, une robe cintrée juste sous tes seins lourds, se terminant juste à ras de tes fesses bombées, à paillettes argentées qui écorchaient les rétines de quiconque osait poser ses yeux dessus quand tu passais dans un rayon de lumière, s’était vue complétée par une veste en cuir noir brillant gracieusement prêtée par une des tes pseudo-amies-elfes-de-maison sans même que tu n’aies besoin de mettre a exécution tes menaces.
Les manches sont relevées jusqu’au-dessus de tes coudes bien hydratés, tu diras que c’est pour un effet swag. Les marques rougeâtres en haut de tes avant-bras potelés clameront le problème technique.
Tu as Histoire de la magie dans… il y a trois minutes.
Tu presses le pas. Et te diriges vers les toilettes.
De la crème fondue étale ses colorants alimentaires sur tes doigts courts. Tu les lèches avidement, essayant tout de même de contrôler tes pulsions, histoire de ne pas retrouver un morceau de phalange calé derrière tes molaires.
Un troupeau de mâle passe, tu te reproches d’avoir mis des sous-vêtements.
La porte est devant toi. Tu l’ouvres d’un coup de pied et, comme attirée, te dirige droit vers les miroirs. Tu apparais dans la surface, souris à ta beauté évidente. Tu te dis qu’à ce niveau, le viol ne devrait même plus être puni et te rends soudainement compte que tu chantonnes.
- I feel pretty… Oh so pretty…
Tu déposes précautionneusement ton cupcake (enfin, ce qui en reste) sur le rebord du lavabo et entâmes une retouche superficielle de ta coiffure.
-I feel pretty and witty and bright…
Ce que tu aimes avec ces miroirs, c’est qu’ils peuvent te prendre toute entière. Et c’est dire leur gigantisme.
-And I pity…
Tu fais une moue grossière que tu prétends être sexy.
-…any girl…
Regard triomphant. Pause vulgaire avec les bras. Putain, heureusement que personne te voit.
-… who is’nt me…
Cheveux agités. Tu ressembles à un bichon (enfin… un St-Bernard, hein) échappé de la noyade.
-… toni… PUTAIN, on peut plus pisser tranquille dans ces chiottes, nan ?
Oui, c’était un réflexe. Quand tu es dans des toilettes, qu’importe ta situation géographique et contextuelle réelle, dans tes beuglements, tu vides ta vessie. Ca a tendance à éloigner le potentiel agresseur en te laissant un minimum de dignité.
Tu venais d’entendre du bruit. Des bruits. Particulièrement suspects.
Tu ne peux supporter l’idée que quelqu’un ait pu t’espionner sans que cela fasse partie d’un de tes plans. Tu as des plans pour tout. Tout le temps. Même quand tu n’en as pas, ça fait partie d’un plan plus grand. Or, ce bruit n’entre pas dans tes derniers calculs. Il doit être éradiqué.
Gardant l’œil sur ta pâtisserie, tu fonces jusqu’à la porte, prête à démolir l’imprudent qui est sans doute planqué dans le couloir puis te figes soudainement.
L’oreille tendue, tu prends conscience.
Le bruit ne vient pas de dehors. Mais de dedans.
Sans un mot, tu sors ta baguette.
Un bruit de loquet claque dans la serrure.
Tu te retournes, méfiante. Tu fais trois pas silencieusement. Puis, d’un seul coup, d’une vivacité que ton poids ne laisserait même pas réalistement envisager, allonge ton bras, fait un mouvement souple du poignet et toutes les cabines des toilettes s’ouvrent violemment.
Dans la deuxième en partant du mur du fond, tu la vois.
-Oh.
Tu restes muette. Soudainement plus pâle.
Elle.
Tes traits flasques de contractent de haine. Entre tes lèvres, sifflent un sourire qui n’annonce pas du bon Karma.
Tu l’observes, penchée sur la cuvette. Ton timbre suinte le dégoût méprisant.
- Ton déjeuner était bon ?