Si il n'y avait que la défonce entre nous, les choses seraient plus faciles.

∞ Drugs ∞

J’exhale la fumée en soupirant, et je savoure la douce sensation de flottement qui s'empare de moi. Comme souvent, je suis assise dans mon bureau de la Chouette avec Gil, tard le soir, à fumer. J'avoue tout de suite, ce mec me fait triper. Il est juste tellement dingue ! Comment on est devenus amis, c'est une bonne question. J'imagine que sa tendance à traîner souvent à la rédaction a un peu aidé le destin. Il a surtout une tendance à me chercher et ... à me trouver. Il adore me taquiner sur tout et n'importe quoi, et croyez-le ou non, ça me fait du bien de pouvoir rire de moi même ! Mais les moments que je préfères avec lui sont ceux passés tard le soir dans mon bureau à fumer tout et n'importe quoi, en écoutant un vieux vinyle tourner sur la Magic Platine 2000 que la Salle sur Demande nous a fourni le premier soir. Quoi de mieux pour lâcher prise et se détendre ? Tout en balançant doucement ma tête au rythme des Pink Floyds, je tends le oinj à Gil. La fumée a une odeur épicée tellement agréable ! J'ai envie de rester là encore des jours entiers, sans avoir à m'occuper de qui à rendu ou pas son papier pour le prochain numéro, ou bien des devoirs à faire, ou alors des rumeurs que Franks, Saphyr et les autres bitches peuvent lancer sur moi. Je crois bien qu'avec Luka et Ken, Gil fait partie de ces personnes qui m'apportent une vraie bouffée d'oxygène dans cette vie de dingue. Je voudrais les embarquer sur une île déserte pour que l'on soit seuls tous les quatre, jusqu'à la fin du monde. Je regarde Gil, avec un sourire sur les lèvres. Mec, c'est du lourd que tu m'as ramené là ! Je tire a nouveau sur le oinj qu'il vient de me passer avant de rire doucement en regardant les volutes s'entortiller dans les airs.

Si il n'y avait que la défonce entre nous, les choses seraient plus faciles.

∞ Drugs ∞

Est-ce que j'ai oublier de mentionner la tendance récurrente de Gil à vouloir me taquiner, me provoquer ? Le voilà qui me dit que je suis une petite nature. Manquait plus que ça ! Je grince des dents, sans répondre pour le moment. J'attends de voir ce qui va suivre. J'écoute les paroles de Shine On You Crazy Diamond, totalement transcendée. Quand il me dit qu'il devrait ouvrir un magasin de vinyles, je ris, et devient soudainement sérieuse. Et mon avenir à moi ? Tu sais de quoi je rêve ? Je laisse la question se mêler aux notes de la guitare, avant de reprendre. Je voudrais racheter un magasin de bonbecs. Genre ... Relancer une des vieilles boutiques. Vendre du rêve aux gosses, et du rire aux adultes. Des bonbons qui font pétiller les yeux, d'autres qui ne s'usent jamais, des plumes en sucre, comme celles dont parlent les vieux romans sorciers. ce serait tellement bien ! Je ris, face à tant d'auto-conviction. Car oui, j'essaie de me convaincre. J'essaie de me dire que j'ai un avenir dans ce monde, un avenir fun, délirant. Mais la réalité n'est pas aussi brillante ... J'devrais plutôt postuler pour la Gazette du Sorcier, ça vaudrait mieux. Je laisse le morceau se terminer, et switche sur High Hopes. Pas forcément le meilleur choix de morceau pour relancer l'ambiance, j'avoue. Mais il me fait penser à moi. A mes high hopes, mes rêves irréalisables, complètement dingues. Je me lève soudain et prends la main de Gil. Viens, on danse. Je l’entraîne avec moi et nous tournoyons lentement sur nous même. J'ai un peu plombé l'ambiance, hein ? Je pose ma tête sur son épaule et ferme les yeux. Tu sais quoi ? Si tu ouvres ce magasin de vinyles, je serais ta première cliente. Il a beau me faire sortir de mes gonds, parfois, je ne peux pas m'empêcher de l'adorer. Il doit émettre un gaz extraterrestre qui pousse les gens à l'aimer, ça se trouve, comme le Docteur. Je crois que sans ses piques, j'aurais pas tenu longtemps ici. Il m'a poussée à me remettre en question. Je ne sais même pas s'il s'en est rendu compte, en fait ! En tous cas, c'est grâce à lui que je peux rire de moi-même, a présent.

Si il n'y avait que la défonce entre nous, les choses seraient plus faciles.

∞ Drugs ∞

Cette fois je suis stone. Tout devient carrément flou. Je ne sais pas si c'est ce qu'on a fumé qui me fait cet effet ou si c'est juste l'ambiance générale qui flotte autour de nous. A vrai dire, ça doit être les deux. Gill ... Gill fait le pont. Il se tortille dans tous les sens, et puis il finit par y arriver. Je comprends pas vraiment pourquoi, mais ça me fait sourire. J'imagine que le sang doit lui monter à la tête, dans cette position. Je bascule doucement en arrière, jusqu'à ce que ma tête touche le sol. Mes cheveux s'étalent comme une couronne psychédélique, et je sens quelque chose de dur dans mon dos. Ma baguette. "Tu crois que la magie, c'est un cadeau que l'univers nous fait ?" D'où cette idée me vient, aucune idée. Elle s'est imposée à moi, un soir, alors que je regardais le portrait de Mr Mustard, que j'avais placardé sur le panneau de bois servant de ciel de lit à ma couche dans le dortoir. Si la magie est un cadeau, alors c'est le plus beau qui m'aie été fait. Je lève ma baguette et la point en direction du plafond. J'hésite à essayer cette formule que j'ai dénichée dans un livre d'art décoratif magique. Et puis je me lance. Je murmure doucement, et le plafond blanc change d'aspect. Lentement, il se tente d'un violet bleuté, de noir profond, et puis elles apparaissent. Les étoiles. Je viens de faire apparaître une galaxie. Au plafond. Et c'est réussi. Je ris doucement, et repense à ce que Gill vient de me dire. Ne pas me freiner moi-même. Le truc avec Gill, c'est qu'il à souvent raison, et qu'il trouve beaucoup trop souvent les mots justes. S'il n'était pas de nature aussi moqueuse et taquine, j'aurai pu craquer pour lui, je crois. C'est pas le moment de tomber amoureuse, Lore. C'est jamais le moment. Soudain, je me dis que je ne connais pas Gill. Je ne sais même pas quelle est sa couleur préférée, quels sont ses bonbons préférés ou même s'il portait des couches encore à sept ans. Je ne sais pas s'il a une copine, ou même un copain. A vrai dire, ce n'est pas ce dont on parle tous les deux. "Et sinon, toi ... t'as une copine ?" Pitoyable. Un jour je prendrais des cours de tact. Un jour. Je me sens nulle. J'ai jamais été douée pour ce genre de choses. Poser des questions de ce type, c'est comme danser la bamboula en tallons aiguille tout en essayant de tenir en équilibre sur un fil. Pour moi, ça relève du suicide. Je me rends compte de l'idiotie de ma question, et j'ai envie de disparaître. Vite, trouver quelque chose pour faire diversion. Je me tortille dans tous les sens pour trouver quelque chose, n'importe quoi. Mon dieu, la bouteille de whisky. Je me lève d'un coup, et la tête me tourne, la pièce entière tangue. Je me dirige comme je peux vers mon bureau et attrape la bouteille. Je l'ouvre et bois une gorgée, qui me brûle la gorge. Je souffle en sentant la chaleur m'envahir. Soulagée. Jusqu'à ce que je sente la présence de Gill derrière moi.

Alors c'est ainsi. Sous les étoiles, se confier devient plus facile. Si je te dis tout sur moi, sur ma névrose, voudras-tu rester ? D'ailleurs, qui n'a pas sa névrose ?

∞ Drugs ∞

La réponse de Gillian me fait comprendre qu'on se connaît vraiment très peu. Je le voyais comme une sorte de sex symbol qui faisait craquer toutes les filles. Alors quand il m'explique que non, ou du moins qu'il n'est pas du genre à avoir des petites amies, je suis étonnée. Je ris doucement à sa blague et regarde le sol sans reprendre la conversation. Je relève la tête pour regarder mon oeuvre. J'ai l'impression que mes pouvoirs sont plus dociles lorsque je suis dans un état second. Ou bien est-ce parce que dans ces moments je suis plus sûre de moi ? Gillian reprend la parole. Il croit que je fais tomber les garçons et les filles avec mes longues jambes. S'il savait à quel point il se trompait ! Un instant, je suis tentée de lui mentir, mais lorsque je le regarde, cette idée se retrouve enterrée immédiatement. Pourquoi lui mentir ? "Oh, tu sais, on a pas tous la chance d'avoir des filles ou des garçons à ses pieds. Mes jambes ne changent rien. Je leur fait peur, je crois bien. " Et puis je repense à mes relations passées. "Il y en a bien eu quelque uns ... et quelques unes. Ça n'a jamais duré, c'est ... c'est comme ça." Pourquoi mes relations n'ont jamais duré ? C'est toujours de ma faute en réalité. "Tu sais, à chaque fois que je touche à quelque chose, j'ai l'impression de la casser. Que ce soit quelqu'un ou quelque chose c'est toujours pareil, je les laisse un peu cassés." Pourquoi lui dire cela à lui ? Est-ce que c'est cette confiance aveugle que j'ai en certaines personnes qui me pousse à leur confier tout sans retenue ? J'imagine que c'est là ma faiblesse, la seule, l'unique, la pire. "J'ai des amis, mais j'ai peur de les briser, en réalité. Ça a failli se produire déjà une fois, mais je ne sais pas comment, j'ai réussi à rattraper le coup. Maintenant cette personne sait quelle est ma ... disons, ma sorte de malédiction. Elle est restée. Ça fait bizarre de savoir que quelqu'un m'aime en dépit de cela." Je tourne la tête vers Gillian. "Tu sais que tu as encore la possibilité de sauver ta peau ? Tu pourrais me fuir, avant d'arriver trop près du bord, avant de tomber dans le vide."

Est-ce que j'en souffrirais si Gillian me laissait seule, ici ? S'il partait maintenant, je crois que les étoiles que je viens de faire apparaître seraient noyées dans un noir d'encre. Mais j'en ai assez d'être égoïste et de voir les personnes que j'aime se consumer par ma faute. S'il partait, je devrais le laisser faire, ne pas le retenir. Je ne dois plus retenir personne, ça devient trop dangereux pour les autres. Voilà le problème qu'être ami avec moi pose : on peut voler plus haut que n'importe qui d'autre, mais il est aussi facile de tomber, nos ailes consumées par le soleil.