COOPER ET SAMI.

C'est Bagdad dans le dortoir des Serdaigles. Y'a eu une fête la veille et tout le monde est rentré complètement bourré, du coup y'a des cadavres un peu partout par terre et les plus vaillants ont à peine réussi à atteindre leur lit. Sami crève de froid, ça se voit à sa teinte livide, mais ça n'empêche que ce matin il se tourne et retourne en sueurs sur son matelas. Il dort et apparemment son rêve n'a rien de plaisant. C’est peut-être Bagdad dans la pièce, mais c’est Gaza dans sa tête. Il comprend pas trop ce qui lui arrive le petit Maruf, mais il paraît que ce matin son esprit a décidé de faire des siennes et de lui ramener la vérité en pleine face. C’est pas Poudlard qu’il voit, mais Samra, Samra et lui. Un coup il lui dessine une marelle sur la terre ocre, un coup tous les deux roulent en vélo vers le kiosque du village. Mais à chaque fois les images se mélangent, Samra ne saute jamais sur l’ultime case du jeu, et eux n’arrivent jamais à destination. C’est un nuage noir qui les englobe et tout ce qu’entend Sami c’est des Boum incessants. L’inachevé. C’est sans doute ça qui le rend dingue. Il se tourne et se retourne, et ses camarades doivent bien avoir la gueule de bois pour pas entendre l’agitation qui émane du corps du palestinien. La marelle encore. Le vélo. Sauf que cette fois son réveil sonne et au lieu de s’éteindre dans un nuage noir Sami voit Samra tomber de son vélo. Elle tombe et il se réveille haletant.
Il lui faut quelques longues minutes au garçon pour comprendre où il est. C’est terrible ce sentiment qui le saisit tout d’un coup. Le dépaysement. Encore un matin où Sami ne comprend pas pourquoi il est là et ce qui l’attend. Il aimerait juste une chose, une simple chose, avoir une idée de ce qu’il va se passer après. Mais c’est un « après » assez vague. Après les Fizwizbiz ? Après qu’ils aient retrouvé le moyen de les faire redevenir euh.. moldus ? Où après qu’il ait fait son deuil ? Ca le trouble un peu, et puis il décide qu’il est temps d’arrêter ce calvaire. Sami se lève, il doit être dans les dix heures du matin et on est samedi. Dans trente minutes il a rendez-vous avec cette fille, Cooper Wakefield, pour avancer des recherches dans un devoir d’enchantements. Il n’a rien contre le travail en binôme le Maruf, mais il aurait aimé que ça soit un autre jour. Un jour où il aurait moins la gueule de bois. Où moins la tête à Gaza.

Enfin il hoche la tête et se dit ‘stop’, c’est le stop décisif. Sami ferme son esprit à toute pensée négative. C’est incroyable quand même cette manière qu’il a de dresser un mur invisible entre son esprit et sa conscience. Il attrape ses affaires et s’engouffre dans la salle de bain. Cette douche c’est un peu l’ultime accord implicite de lui à lui qui signe la fin du rêve et le début de la journée. Il doit aller rejoindre Cooper, balayer ce devoir de la liste des travaux à faire et qui sait, peut-être qu’après il ira faire un tour dehors. Se griller une clope. Se griller un joint. Se griller.
C’est samedi, donc fini les robes cheloues de sorcier trop moches. A 10h20 Sami file dans les couloirs. En baskets il se sent plus rapide que Lucky Luke et sous ses bras il se traîne plusieurs bouquins qu’il a empruntés la veille à la bibliothèque. Heureusement qu’il a eu le bon sens d’aller faire ses petites recherches perso avant que tous les septième années cherchent à s’approprier de ces ouvrages. C’est une flèche Sami quand il s’agit d’affronter devoirs et responsabilités. Le prof leur avait à peine dicté le sujet qu’à la fin de l’heure il s’était engouffré dans les grands rayons de l’antre aux livres et avait chipé tout ouvrage intéressant. Les autres allaient bien galérer à trouver matière à recherche, mais comme on dit premier arrivé premier servi pas vrai ? Un espèce de sourire amusé s’empare de ses lèvres et c’est comme ça qu’il arrive devant la salle où il a donné rendez-vous à Cooper. Il peut être assez impatient parfois le Maruf, du coup il décide d’entrer pour l’attendre au chaud. Parce que oui bordel on se les caille franchement dans cette saleté de château. Ils connaissent pas le chauffage ? L’électricité ? Tous ces trucs merveilleux ? Non. Non non ici c’est l’âge de pierre t’sais. Il rouspète un peu à voix basse et puis ouvre la porte. La salle est vide et sur le tableau il y a encore écrit leur sujet d’étude. « Les sortilèges et enchantements qui nous facilitent la vie. Feraient-ils controverse chez les moldus ? » On s’en fout. Non d’accord, y’a peut-être un peu de mauvaise foi. Mais sérieux, Sami vivait très bien sans magie donc ce sujet l’énerve un peu. Il a envie de dire que oui, tout ferait controverse parce que voilà, la magie c’est pas naturel et que les sorciers sont des fous. Après tout ils ont tous fini au bucher au Moyen-Âge. Ils font flipper quoi. « Ah salut. » Qu’il lâche en voyant la Gryffondor entrer dans la salle. « J’ai pris un peu de bouquins pour nous aider. » Un demi-sourire se dessine sur ses lèvres parce qu’il a pas pris « un peu de bouquins », il a pris « la masse de bouquins ». Et d’un coup il se sent un peu gêné alors il baisse la tête et réajuste son bonnet sur sa tête. Il fait grave froid c’est un truc de ouf, et lui avec son accent de merde il se sent vraiment comme un touriste. Touriste.

Cooper Wakefield. Sami ne la connaissait pas personnellement. A vrai dire il n’avait jamais vraiment entendu parler d’elle, sûrement parce qu’ils ne partageaient ni la même maison ni les mêmes habitudes. La Gryffondor semblait vivre sa vie de son côté sans chercher à se mêler réellement aux groupuscules en constante ébullition du château. Et Sami, eh bien, Sami était un cas à part. Il se laissait parfois traîner par-ci par-là pour faire plaisir à telle ou telle personne, mais son instinct lui dictait surtout de rester à sa place. Etrange comment un changement d’horizons peut vous faire changer du tout au tout. Le Maruf n’avait jamais été un grand perturbateur, mais chez lui il avait toujours été des plus intégrés. En arrivant en Angleterre il s’était non seulement renfermé, mais en plus complètement désintégré. Il se traînait avec cette sensation de non appartenance. Non appartenance au pays, à la langue, à la communauté. Le street-art lui avait permis pendant un certain temps d’espérer un retour à une certaine normalité dans sa vie d’adolescent. Mais aussitôt qu’il avait pensé prendre le chemin de l’intégration, les fizwizbiz l’avaient enlevé à sa nouvelle réalité. Le rendant une fois de plus perdu. Une fois de plus étranger.
Mais ces ruminations étaient lointaines maintenant. Sami n’avait qu’une envie, finir ce devoir le plus vite possible, et heureusement la Gryffondor semblait plutôt conciliante. Son allure joviale et son visage lumineux rassurèrent un peu le Maruf dont l’idée de passer les prochaines heures avec quelqu’un rempli d’à priori, provoquait des sueurs froides. Et puis les Gryffondor étaient considérés plus ouverts que les membres d’autres maisons. Si le professeur pensait leur avoir donné un sujet évident, Sami se doutait surtout qu’il allait créer de nombreux débats. Il y avait déjà réfléchi la veille et ses conclusions étaient diverses et variées, selon son humeur, selon son envie, selon le moment. Le Serdaigle sourit à la remarque de Cooper avant d’enchaîner « Coupable. Tant pis, les autres se débrouilleront une fois qu’on aura fini. » une pause, il choisit à nouveau bien ses mots « J’ai pensé qu’il valait mieux terminer rapidement pour pouvoir retourner s’enfermer au chaud »
Sami était devenu un vrai glandu en arrivant au château. Complètement étranger aux sports et coutumes sorcières il avait préféré s’isoler que de faire l’effort d’apprendre tous ces nouveaux éléments. Au fond il espérait sincèrement que tout cela ne serait que temporaire et que d’ici quelques semaines on viendrait leur annoncer un retour à la réalité. Du coup il s’enfermait entre la bibliothèque et sa salle commune. IL n’avait jamais autant lu dans sa vie que ces derniers temps, et si ses notes n’étaient pas merveilleuses dues à son manque d’implication et d’intérêt en cours, il en apprenait tous les jours de plus en plus le long des lignes. Le jeune homme attendit que Cooper s’installe et lorsque celle-ci s’agita il releva la tête. Sami ne comprit pas tout de suite ce qu’elle cherchait vu qu’il avait déjà regroupé tout le matériel nécessaire sur la table. Mais enfin en apercevant la lueur bleutée de la flamme son visage s’éclaira « C’est génial ! Je me demandais justement comment allumer le chauffage », murmura-t-il. C’était l’un des problèmes essentiels pour le frileux qu’il était : l’absence de chauffage. Sami n’était jamais tombé autant de fois malade en si peu de temps.

Fixant encore quelques secondes la flamme il finit par se rassoir correctement sur sa chaise et se retrousser les manches. EN gros, au boulot. Pendant que Cooper relisait le sujet au tableau le Serdaigle ouvrit l’un des bouquins. Il avait repéré un paragraphe intéressant sur la différence des coutumes quotidiennes de sorciers et moldus. Un bon point de départ sans doute. « Bien sur que oui ! Ca c'est super simple, par contre faut le démontrer soigneusement. Ca ne devrait pas nous prendre beaucoup de temps. C'est évident que les moldus seraient bien avantagés par la magie. Heureusement aussi qu'elle n'est pas donnée à tout le monde ! » Le jeune homme sentit un nœud à l’estomac se former au son des dernières paroles de la Wakefield. Pendant un instant il se demanda si elle avait fait exprès, puis face à son engouement et sa vivacité il en conclut qu’elle avait juste balancé la bombe sans penser aux conséquences. Le jeune homme baissa un instant la tête, se sentant d’un coup terriblement mal. Il avait envie de quitter la pièce et de faire ce devoir seul, quitte à écoper d’une piètre note. Mais le regard de Cooper posé sur lui l’incita quelques peu à réagir. Sami se pinça les lèvres avant de hausser un sourcil et d’annoncer d’un ton qui se voulait plutôt sûr « Je ne suis pas d’accord ». Il faisait tournoyer son stylo bic nerveusement entre ses doigts « Les moldus vivent très bien sans magie au quotidien. Enfin, la magie c’est futile la plupart du temps. » Futile, oui, voilà ce qu’il en pensait « C’est un peu une affaire de facilité. Il suffit de claquer des doigts et on a ce qu’on veut. Moi je pense qu’il faut se bouger pour obtenir ce qu’on veut. Pas simplement murmurer un petit mot tout joli tout mignon et voilà… Paf. Non non, ce serait trop simple… » Sa voix est devenue un peu rauque et basse. « Et puis, pourquoi ne serait-elle pas donnée à tout le monde ? Si tout cela existe vraiment, autant que tout le monde ait le droit de s’en servir. C’est du tout ou rien. Pas de supériorité. Pas d’inégalités. Magie, ou pas magie. » Il lève enfin les yeux et les plonge dans ceux se Cooper. Heureusement il a la sensation de ne pas s’être vraiment emporté. C’est pas facile pour lui de rester neutre et impassible face à ce qu’il a ressenti comme une espèce d’attaque. Non, il s’est déjà trop fait attaquer, il en a marre de se faire marcher sur les pieds Sami.

Il a beau être assez ouvert faut dire que depuis qu’il est arrivé à Poudlard Sami est un peu buté. Non tout ça ne lui plait pas vraiment. Les chouettes, les armures, tout ça c’est trop à part du monde. Le vrai monde il est dehors, il est dans ces petites villes où les gens galèrent pour s’en sortir, il est dans la crise économique mondiale, dans Poutine qui maltraite les Pussy Riot, les ouragans qui détruisent New York. Qu’est-ce qu’ils s’en branlent les sorciers de tout ça, hein ? Non eux ils font tranquillement leurs petites études dans un château magique, à part du monde, et puis quand ils sortent paf ils ont tous un joli boulot au Ministère ou à la Chouette Magique. Et à côté de ça ? Bah les autres crèvent. Mais ça on s’en fout des autres pas vrai. Ouais on s’en fout parce qu’ils ont pas de pouvoir, alors qu’ils restent dans leurs bleds.
Sami a presque envie de partir parce qu’il sent que de toute façon la discussion ne va servir à rien. Il aurait du faire son devoir tout seul. D’ailleurs, il va même pas le rendre ce putain de devoir, parce que maintenant qu’il y pense c’est sacrément provocateur comme question. Et lui il voit qu’une façon d’y répondre, c’est ne pas y répondre justement. On ne lui fera pas dire ce qu’il ne veut pas. Il va tout boycotter. Oui Sami s’est peut-être un peu mal réveillé ce matin. Mais quoi, faut pas trop le contrarier le petit gars. Il est pas content content d’être ici alors on va pas non plus tout lui imposer. Lui qui ferme sa gueule d’habitude, ce coup-ci il a du mal à rester en place. Et tandis que Cooper répond il se ronge les ongles nerveusement. Il fronce les sourcils « Tu ne sais pas de quoi tu parles. Tu penses que le monde des sorciers c'est simplement sortir un lapin de son chapeau ou encore emprisonner un flamme dans un bocal ! » Sami sourit un instant. Non il ne vulgariserait pas la magie à ça quand même. Sans blague, sortir un lapin de son chapeau il a compris depuis qu’il avait cinq ans que c’est du pipeau. Ca a un peu détruit ses rêves de gamin, mais faut dire que quand on vit vers Gaza les rêves t’en as pas longtemps. Du coup le Maruf se retient de dire quelque chose, mais il est pas là pour raconter sa vie. Il n’en a pas envie. « La vie avec la magie n'est pas un conte de fée. Tu ne te rends pas compte car tu as la chance de ne pas vivre réellement dans ce monde. Tu penses que ce n'est que de l'amusement et de la facilité, mais le fait est que les gens sont en danger permanent. Tu ne peux pas donner la magie à tout le monde. Tu ne peux pas donner à toute personne qui n'est pas stable dans sa tête, la possibilité d'acquérir la grandeur de Lord Voldemort. » C’est limite si un rictus se dessine sur les lèvres du garçon. Mais en fait il se retient. Il n’en sait rien, c’est vrai. Mais elle ne sait rien des raisons qui le mènent à avoir son avis. Donc c’est un peu un discours de sourd et il n’est pas certain d’être sur la bonne pente pour continuer. Lord Voldemort. Oui il en a entendu parler. Oui, il a lu des livres. Au moins quatre d’ailleurs, depuis le début de l’année. Parce que oui Sami s’est intéressé. Sami s’est informé. Il ne débarque pas ici à raconter son point de vue sans avoir des bases sur lesquelles s’appuyer. C’est pas un bledard non plus Sami.
Il baisse la tête un instant. Parce que oui même s’il sait que les sorciers ont aussi vécu la guerre, le totalitarisme, le fanatisme de Voldemort, il ne peut pas s’empêcher de penser qu’ils vivent et nourrissent quelque chose de fondamentalement faux. Alors il baisse la tête, et quand il la relève Cooper n’est qu’à quelques centimètres de lui. Leurs regards sont scotchés l’un à l’autre et d’un coup Sami se sent terriblement gêné. Il reste quelques secondes comme ça puis finit par détourner le regard et se réajuster son bonnet. « Tu sais... Ce monde a beaucoup à t'offrir, mais tout à un prix. Tu payes toujours, d'un façon ou d'une autre, pour ce que tu as. » Ca sent le vécu, qu’il pense Sami. Peut-être que Cooper n’est pas la fille si assurée qu’elle essaie de paraître. Après tout il n’est certainement pas le premier à avoir des problèmes et essayer de les refouler.

« J’ai pas choisi d’être ici Cooper. Je ne veux pas de cette vie. J’avais assez de problèmes chez moi pour venir en plus m’encombrer de pouvoirs que je ne maîtrise pas. J’ai l’impression de vivre une autre vie, tu comprends ? » Il s’arrête et hésite un instant « Ce n’est pas ma vie. Ce n’est pas moi. Je n’en veux pas. » Ca répond d’ailleurs très bien à la question du professeur. Les moldus ne veulent pas de magie. En tout cas Sami n’en veut pas. Il veut retourner à sa vie de Plymouth. Gagner un peu d’argent et puis retourner à la maison. C’est aussi simple que ça. Poudlard c’est une erreur de parcours et il espère vite que tout cela se résoudra. « La magie pour moi c’est juste des problèmes en plus. On m’a arraché à ma vie et on ne peut pas espérer que je me contente de ça. Je pense que ça répond à la question. » C’est son point de vue. Le point de vue du gars qui n’en a rien à battre des chocogrenouilles et des lumos. Lui il veut juste un œuf kinder et un briquet.