c'est l'histoire d'un mec qui sait pas trop ce qu'il fout là.


« T’es une sorte de terroriste en fait » qu’on m’a dit un jour. C’est pas facile de se défendre quand on est étranger dans une petite ville d’Angleterre aux mœurs bien précises et à l’esprit largement coincé. C’est pas facile, surtout quand les seules insultes qui vous montent aux lèvres sont des insultes arabes. J’veux dire, ça a pas des masses d’envergure quoi. Au contraire ça renforce juste l’idée de ces crétins. Moi je suis pas le genre de gars qui va vous clouer le bec en deux secondes. J’ai pas assez de répartie, je suis un peu trop réfléchi. Enfin surtout depuis que je suis arrivé en Angleterre. Depuis que je suis arrivé je me suis écrasé. Je me suis fait et laissé écraser. Ca peut vous paraître un peu honteux, mais les gars je pense que vous ne savez pas ce que c’est d’arriver dans un pays en vous appelant Sami Issa Maruf. Vous êtes direct catégorisé, étiqueté, maté, jugé. I’m a fuckin’ terrorist bitch. Oui oui c’est ça c’est moi. Attention en plus j’ai découvert le street-art, les tatouages, toutes ces merdes de branleurs occidentaux. Y’a pas à dire je suis voué à devenir un vilain garçon, un bad boy. Toutes ces conneries qui font mouiller les filles et frémir leurs mères. C’est moi, c’est Sami.

Je suis pas vraiment quelqu’un qui parle de soi. Mais depuis que j’ai bouffé un de ces trucs j’avoue que je ne comprends plus trop. Et ma mère m’avait dit une fois, inch’allah mon fils, parfois le cœur a besoin de se libérer de ce qui le tourmente. Libère-toi. Je me libère. Salut maman. J’espère que tu t’inquiètes pas trop. J’ai dit à tonton que je m’étais trouvé un job et un coloc à Londres et que du coup je comptais y rester un peu. Je pense qu’il y a cru. On est comme ça chez nous : chacun doit prendre son envol. Il faut tenter, tâtonner, se casser la gueule, se relever et se battre. J’aime pas parler de moi, bordel. Mais je préfère le faire à l’écrit. Au moins ici on n’entend pas mon accent. On ne rigole pas. On ne me dévisage pas. Je ne suis pas Sami-l’étranger, mais juste Sami.
Juste Sami que je suis, est parti de son petit village tranquille de Palestine parce qu’un Boum venait de faire exploser sa sœur. S’il faut que je parle je vais dire les choses telles qu’elles sont. Clairement, ma sœur a volé en mille éclats. C’est pas la guerre, non non, jamais, c’est juste comme ça parfois on retrouve des mines par terre et voilà. J’étais avec elle, c’était un matin où je l’accompagnais à l’école. On faisait la course, comme souvent, et elle a voulu me semer en prenant un raccourci. Je me suis arrêté pour lui laisser son moment de gloire, et tandis qu’elle se retournait, rieuse et moqueuse, le temps s’est arrêté. Depuis, je n’ai plus de sœur.

Je suis arrivé en Angleterre parce que mes parents voulaient que je sorte un peu ma tête de cette merde. Et depuis que je suis arrivé j’ai décidé de ne plus jamais parler de qui j’étais, d’où je venais. Ce n’est pas que j’ai honte, c’est juste que je me protège. Je pense que vous pouvez comprendre, pas vrai ? J’suis pas une grande gueule moi, j’avance les yeux bandés, la bouche fermée, les mains tâtonnant en espérant ne pas tomber. Mais j’ai l’impression de toujours marcher sur un fil suspendu en l’air, comme un équilibriste qui n’a aucun talent. Sauf qu’en dessous, pas de filet de secours. Juste le vide et le vide. Le vide et Samra qui m’attend en bas.

Salut Samra. Tu sais qu'je t'aime petite peste. Je crois que t'aimerais bien ce coin de magie. Magie, oui, c'est le mot apparemment. Je ne comprends pas trop pourquoi je suis là, ni comment ça m'est arrivé. Apparemment, ce truc que j'ai mangé - qui était vraiment dégueu disons le - était ensorcelé. Sans blague les gars, ensorcelé. J'ai voulu courir, partir, m'enfuir mais ils m'ont intercepté. Je n'aime pas qu'on m'impose les choses moi, surtout depuis que je suis arrivé en Angleterre pour prendre mon envol. J'ai l'impression d'être prisonnier d'une blague qui m'a pris au détour d'une rue. Un peu comme ça, un peu au hasard. Je n'aime pas le hasard. J'aime rêver j'aime souffler, penser, marcher.
Je sais pas trop ce que je fous là. Mais j'ai pas trop l'choix.

Je dois y aller, j'ai cours. Je sais pas où j'ai cours. Cet endroit est trop grand putain.