Tout ce que la mer a à offrir ce sont ses grosses bourrasques, et de temps en temps une sensation de puissance. Il est vrai que je ne connais pas grand chose à la mer mais ici en tout cas c’est comme ça. Et je sais aussi que dans la vie, le plus important c’est pas nécessairement d’être fort mais de se sentir fort et de se mettre à l’effort au moins une fois, de se retrouver au moins une fois dans la condition humaine la plus archaïque. Affronter seul la nature aveugle et sourde sans rien pour vous aider ; si ce n’est vos mains et votre tête.


Le réveil sonne.
Sommeil léger. Il se lève, tire les draps, enfile un jogging. C’est méthodique. Il avance. Salle de bain, robinet, un jet d’eau froide. Il ouvre les yeux. Un sourire. Il se réveille. Ses lèvres se dessinent, son bras se lève. Son pouce se tend. C’est le début de la journée. Nino rigole. Quitte le reflet. Claque des talons et jette sa serviette.

Il enfile un t-shirt, enfile un sweat, met des pompes et prend son iPhone. C’est méthodique. Une bouteille d’eau, un comprimé. Il déglutit et court dehors. 6h30. Le jour se lève. C’est l’aurore dehors. La pelouse est mouillée, les oiseaux chantent. Nino respire. Il se sent bien. Ca le soulage. Il s’accroupit, s’étire, sautille un peu sur place. Il branche sa musique, met ses écouteurs et il part.

Il lui en faut pas trop Nino. Un peu d’air frais, un vaste terrain et tout va bien. Et quand le lac se dessine face à lui ça le détend. Une nouvelle journée qui commence, une nouvelle semaine qui commence, une nouvelle année qui commence. C’est la rentrée et il se dit qu’enfin il va plus voir la sale gueule de son père. Poudlard toute l’année. Pour la dernière fois. Après c’est fini, il faudra se trouver un taf. Les profs ont pas confiance en lui. Il le sait Nino. Il n’a pas de grandes ambitions, il n’a pas de notes incroyables. Lui il aime juste bien courir et foncer sans réfléchir. C’est peut-être un défaut, mais ça lui suffit. C’était pas son ambition, Poudlard. Pas sa vie.
Il arrive face au lac. Nino s’arrête un instant. Y’a un rayon de soleil qui lui chatouille le nez et d’un coup il se sent éternuer. C’est la lumière, ça lui fait toujours ça. Il se sent stupide un instant mais bien vite les paroles de la chanson dans ses oreilles le rattrapent, et Nino inspire un bon coup. C’est effrayant quand même, de se sentir grandir. Il fait quelques foulées tranquillement et puis il sent ses jambes accélérer. Nino se souvient encore de son premier voyage vers Poudlard. A l’époque il était heureux, de partir de son patelin perdu, de sa maison hantée. Heureux de mettre un pied pour la première fois de sa vie dans un château. Heureux de manier cette baguette magique, si insignifiante à ses yeux. Ce morceau de bois dont s’échappaient des étincelles. Heureux à l’idée de penser qu’enfin, peut-être, il réussirait à s’en sortir dans quelque chose. Quelque chose de nouveau. La magie c’était un nouveau monde, l’espoir d’une vie qui se construirait à part de celle qu’il avait déjà entamée. Il était un peu trop innocent.

Son souffle se fait plus lourd et son cœur bat trop fort. Nino sent ses muscles lui brûler les jambes et il a l’impression que l’air va exploser dans ses poumons. Ca lui fait mal, là, dans le torse. Ca lui fait mal quand il respire, il a presque le goût du sang amer qui lui traverse la bouche. Mais Nino sait que c’est qu’une illusion, que c’est qu’une histoire de contrôle. De self-control.
Il avait vite déchanté. La magie c’était pas la facilité. Et puis il avait eu peur pour sa mère, seule chez lui. Si ce monde tentait de l’acheter jour après jour avec ses petites merveilles, il n’en restait pas moins un étranger. Nino n’était pas très fort, pas très assidu, un peu trop évasif. C’était comme ça depuis toujours. On le trouvait mignon et pas bien méchant, mais rien de plus à signaler. Un vrai masque, un sourire rêveur, des yeux malicieux. Nino, quoi. Un fort caractère caché derrière l’illusion d’un gamin paumé. Le son retentit dans ses oreilles. Trop fort. Ca l’emmêle, Nino. Quelque chose lui martèle le crâne. Il enlève ses écouteurs et continue de courir comme ça encore pendant de longs mètres. Juste au son de son souffle. Au son de ses efforts, de ses pieds qui battent le sol. Il finit par s’arrêter, à quelques mètres tout juste du lac. Il a terriblement envie de s’y jeter. Comme ça. Ses genoux tremblent et Nino finit par se laisser tomber jambes croisées sur la pelouse. Il sent son dos qui se courbe et bien vite ses bras s’étendent au loin. Tête baissée, yeux fermés, il s’étire. Ouais, c’est la dernière année.

Et c’est le chaos. Mais Nino ça le fait sourire. Il ne réalise pas. Il n’a toujours pas réalisé qu’il est là depuis ses onze ans de toute façon. Il a la sensation d’être dans un rêve, dans une petite bulle de silence qui l’emporte à droite à gauche. Qui le fait naviguer. Jusqu’à ce qu’il rentre chez lui. Jusqu’à ce qu’il croise le regard de son grand-père et qu’il se sente enfin respirer. Comme si tout prenait un sens. Il se demande comment font les moldus qui viennent d’arriver. Comment fait Cersei ? Et puis il se relève. C’est différent pour elle de toute façon. Elle a toujours fait partie de ça. Indirectement. Beaucoup plus que lui. Lui il a juste été entraîné par la bulle, par la vague, lancé à droite à gauche et puis retrouvé sur la plage. Un naufragé peut-être, un naufragé souriant.