C’était l’anniversaire de la mort de sa mère.
Au premier week-end de septembre, il s’en souvenait difficilement car il n’était alors qu’un enfant dans les bras de son père. Il ne se souvenait même plus de sa voix et se remémorait son visage au travers des photos qui parsemaient le vieux manoir. Il y trouvait un certain réconfort, lui qui était petit et gros, de voir qu’avant lui, tous les Hemmington n’étaient pas grand avant l’âge de quatorze ans, et que c’était à la veille de devenir un homme qu’ils devenaient de véritables guerriers. Un sang écossais de jadis leur avait donné une masse importante, un corps dont la structure se rapprochait plus de la bête sauvage que de l’homme civilisé. Leur sang irlandais donnait aux hommes des cheveux sombres et aux femmes des cheveux auburn ; leurs yeux étaient à tous anthracites, d’un gris couleur bitume, presque noirs.
Leur caractère était vaguement le même ; des êtres manipulateurs et pernicieux, aux regards lourds de silence et de mots à la fois. Un non-dit constant qui les mettaient mal à l’aise et à l’aise, comme s’ils ne voulaient rien dire et rien entendre – ce qui était caché avait au moins le mérite de ne pas les blesser. Tout du moins, c’était ce que pensait Duncan Hemmington.
Son fils, au bout de sa table, dégustant un morceau de son canard laqué n’en pensait rien. Il s’était dit plusieurs fois que parler avec son père aurait eu un quelque chose d’agréable, mais il comprenait que derrière ce visage fermé et dur se cachait les soucis du quotidien. Ils étaient riches à millions, mais riches ne signifiaient pas grand-chose pour un homme qui avait réussi à échapper à Azkaban pour « fautes de preuve » de son engagement auprès du Maître. Une chance pour Mattìeu, car sa famille avait été décimé dans les multiples batailles. De la grande famille Hemmington il ne restait plus que lui et Eithleen. Deux êtres à la dérive. L’héritier eut un petit soupire.
Aux informations, passant dans la télé sorcière de la cuisine, une émission tournait en comique ce qui ne l’était pas. On parlait encore des sang-purs, et on en voyait passer un avec un bonnet d’âne, chevaucher par une sorte de pourceau de sang-mêlé. Le regard de Duncan Hemmington sembla s’assombrir jusqu’au moment où il exulta :
« N’ont-ils donc rien compris ou pas bien assez ? Même si le Maître est mort, ils n’auront jamais, jamais un quelconque pouvoir ici-bas ! » Il aboyait comme un chien, la bave aux lèvres, la fureur au cœur. Peut-être était-ce aussi de la peine. « Ils ne sont rien ! Rien ! De la vermine ! Des chiens ! »
Mattìeu regarda son père, et il le trouva beau.
Rien à voir avec la beauté des filles de sa classe ou celles des filles dans les films, mais une beauté touchante. Duncan s’effondra aussitôt après, pleurant dans ses mains, comme à chaque fois que le deux septembre sonnait à leur porte – l’odeur de la perte de Domina Hemmington passait alors comme un relent âcre dans la bouche de chacun, certain supportant mieux que d’autres.

Le regard un peu vague, Mattìeu Hemmington observait autour de lui les gens. En l’espace de deux ans, il avait poussé jusqu’à atteindre une taille hors-norme pour les enfants de son âge et culminait déjà à la taille d’un mètre quatre-vingt à l’âge de seize ans. Le docteur avait dit qu’il ferait la taille de son père à l’âge adulte, et il ne s’inquiétait pas de ça – c’était sûrement vrai. Ses rondeurs excessives avaient disparu comme son corps s’était allongé, et c’était à la rentrée que les jeunes filles en fleurs avaient découvert un nouveau « Matt », un plus grand, un plus séduisant, et surtout un encore plus sombre qu’avant. Ses yeux anthracite glissèrent sur Maëlan Dashwood, un peu plus loin. Le pauvre jeune homme n’avait pas franchement choisi d’être la cible préférée de Mattìeu Hemmington. Personne n’aurait voulu être sa proie de choix d’ailleurs. Pour sûr qu’on aurait préféré être encore sous l’emprise d’une drogue ou d’une gueule de bois plutôt que d’avoir à se farcir les yeux perçants et noirs de l’héritier irlandais. Il avait beau être un sang-pur haïs de tous, il imposait un respect froid de par sa seule présence, et regroupait autour de lui les malaimés du sang noble. Maëlan n’en faisait pas partit – du sang noble – et c’était bien pour cette raison que Matt doutait encore de son intérêt. Un être si peu intelligent et si peu doué, envoyé à Serpentard – à quoi bon ?
Il pianota sur la table alors que Chain Backdown, un anglais pur souche, vint s’asseoir à ses côtés. Depuis le premier jour, Chain était le meilleur ami de Matt, une sorte de petit chien qui le suivait et qui parfois partait renifler les culottes des filles, pures si possible. Il voulait « en profiter », comme il disait, avant ses vraies fiançailles. Mattìeu ne pouvait que le comprendre, leur vie à eux deux était déjà toute tracée par leurs parents.
« A quoi pense-tu, prince des ténèbres ? » Un petit rire remonta sur les lèvres de Chain.
« A comment je vais pouvoir briser cette sale petite face réjouie de Dashwood… Il sourit, de trop. Un chien comme lui ne devrait pas sourire. »
« Je vois. Toujours Dashwood donc. »
Chain déposa un cahier sur la table et le fit glisser entre les doigts de Matt. L’irlandais haussa un sourcil, curieux, et l’ouvrit. Il remarqua aussitôt qu’il s’agissait de la retranscription exacte des dernières réunions qu’il avait organisées, avec ses « amis ». Il eut un petit sourire satisfait.
« J’ai classé tous les chapitres par thème pour éviter toutes digressions qui rendraient l’œuvre confuse et abstraite. J’ai retranscrit le tout au mot près ! »
« Je vois. C’est… C’est du bon boulot Chain. »
« Merci Matt » un petit sourire se dessina sur les lèvres de l’anglais, plus timide « tu comptes vraiment proposer ce recueil pour ton passage à l’université ? Tu sais que si on te voit avec un tel… machin dans les mains, t’es bon pour Azkaban, pas vrai ? »
L’irlandais arqua un sourcil. Est-ce qu’il le prenait pour un idiot ?
« Pitié Chain, tu ne crois plus en moi ? »
« Si, bien sûr… » Une petite moue apparut sur son visage « …nous croyons tous en toi, c’est juste que… tu vois, ça fait un peu peur quand même… »
« Ils veulent jouer sur les théories moldues. Ils nous prennent pour des chiens, se targuent d’être de sang-mêlé ou d’ascendance moldue, parce que c’est moins extrême. S’ils sont véritablement fiers d’être ce genre de sorcier, alors je vais leur faire goûter la théorie de Darwin et les recherches de Matheson, sans oublier qu’il faudrait leur rappeler qu’un jour, nous avons été persécuté et brûlé sur un bûcher, et que sans nous, nous ne serions peut-être même pas dans cette école ! »
Chain baissa les yeux, les joues un peu rougies. Matt était un extrême virulent, mais qui allait tenir tête à une brute qui pesait le poids d’un bœuf et faisait la taille d’une armoire ? Pas grand monde. L’irlandais referma le livre dans un claquement sec, énervé.
« N’oublies jamais Chain que nous sommes une espèce évoluée, que nous sommes le futur. Darwin lui-même le savait et le disait ; les espèces qui ne s’adaptent pas meurent, ou alors digressent jusqu’à leur totale disparition. La société veut nous faire croire que la cohabitation avec les moldus est possible, mais c’est complètement faux Chain, c’est faux. Jamais un Neandertal et un homo-sapiens n’auraient pu vivre côte à côte ad vitam eternam. Ils sont condamnés à mourir car nous sommes la race du futur. Nous sommes l’évolution.
Nous sommes le futur. »
Chain eut un petit sourire timide au coin des lèvres. De tous les êtres actuels, Matt Hemmington était peut-être le seul sang-pur à aller vers ses semblables leur tendre la main quand ils étaient brimés et harcelés par les autres. Il était le seul qui n’avait pas peur et adressait un regard noir à leurs bourreaux. Jamais un genou à terre, comme il disait. C’était peut-être pour ça qu’il avait autant d’amis, autant de suivants et de philosophes en herbe qui croyaient en lui.
Il aurait un avenir fou, Chain en était sûr.

Mattìeu ne quittait pas du regard la télévision sorcière qui passait en boucle les vandalismes causées par la jeunesse londonienne, avec tout un tas de petits moldus découvrant leur pouvoir. Se balançant en silence dans son siège, ses yeux ne cillaient pas, d’un sérieux sans faille. Son visage était étrangement serein et son sourire carnassier n’indiquait clairement rien de bon.
Chain entra au même moment dans la pièce et se racla la gorge, douloureusement. Il n’aimait pas vraiment quand Matt le faisait demander. Bien souvent c’était pour des plans un peu foireux, d’autre fois pour se faire disputer sèchement. Le jeune Hemmington n’était pas loin d’être comme son père, un être autoritaire et froid mais diablement intelligent. C’était la seule raison pour laquelle Duncan était encore riche, un des rares sang-purs riches. Une folie, une aberration, et pourtant il avait outrepassé les lois et les règles pour faire fructifier ce qu’il avait pu sauvegarder, gardant hors du besoin sa famille entière et ses futures générations avec l’argent accumulé. Des rescapés en somme toute.
« Je vois que tu connais la nouvelle… » Chain baissa les yeux, rouge. « J’imagine que c’est une mauvaise nouvelle pour nous… »
« Oh, non, Chain, non ! »
L’anglais releva le nez, l’air étonné. Il aurait pourtant cru que Matt aurait été furieux de voir que l’espèce qu’il avait cherché longuement à exterminer venait de devenir une espèce supérieure, et que finalement, ses travaux tombaient bêtement à l’eau. Il se tordit les doigts, mal à l’aise.
« Non, c’est une excellente nouvelle même… Imagine un peu, un tas immense de jeunes sorciers, nouveaux et imbéciles, ingénus, à qui l’on donne le pouvoir de faire le mal… Imagine un peu… »
Son large sourire en disait long sur le fond de sa pensée. Chain eut un petit frisson.