Lore’ commande deux shoots de plus dès que nous arrivons au bout des premiers. Tout cela me semble tellement naturel. Pour moi boire ça ne représente plus grand-chose, c’est un geste coutumier et répétitif. Je tends la main vers le minuscule verre et l’effleure du bout des doigts sans pourtant le prendre dans ma main. Je continue de regarder le liquide qui se balance régulièrement. J’ai les yeux vagues, peut-être un vague à l’âme. "Il y a des gens, comme ça, qui te donnent envie de les protéger. Quand je t'ai vue, je n'ai jamais eu l'idée d'être méchante avec toi, de te dire du mal, ou de te faire du mal. C'est comme ça. Et puis je trouve que faire des conneries avec toi, c'est juste trippant. Tu crois que je serais venue à cette fête si je n'étais pas avec toi ? Non, moi je serais restée au dortoir, avec ma bouteille de vodka à me soûler comme une vieille alcoolique". Je souris candidement comme la créature enfantine que je suis. Tantôt « immature », tantôt déraisonnée. Je suis un hybride entre la licorne et l’être humain. Bizarrement ça ne m’a jamais posé aucun problème. J’attrape le shoot et le descends en un instant, d’une traite, comme toujours. Je tire la langue –au final amusée par notre petite escapade- avant de décocher un sourire charmant-et-pas-du-tout-aguicheur au barman. "Tiens, c'est pas Jezus là-bas ? JEZUUUS " ! Je regarde Lore’ s’éloigner, elle est intenable quand elle a envie de faire la fête. Je ris et la laisse aller rejoindre Jézus. Je m’entends très bien avec lui mais chiffre impair oblige, il y a toujours l’un des trois qui se trouve plus ou moins en retrait, parfois…Puis finalement c’est moi qui ai royalement la flemme de me lever de mon tabouret. Je fais un signe de la main à mon alter-égo Jésuesque et les regarde danser. "Viens, on danse " ! Elle revient finalement pour m’entraîner dans une folle danse sur…le comptoir ?! Bon, c’est un lieu comme un autre. L’alcool que j’ai déjà dans le sang aidant, je me lance avec elle dans une chorégraphie endiablée. Beaucoup de gens nous regardent et je suis crispée, je n’ai pas l’habitude de m’exposer aux regards comme ça. Je préfère même les fuir…La présence de Lore’ a un effet apaisant et je finis par me laisser aller en me laissant porter par la musique. On se retrouve de nouveau accoudées au bar après notre bel instant de folie. « Un autre shoot » ! Waouh, nous arrivons même à être synchronisées au point de parler en même temps. J’éclate de rire et emprunte le briquet de ma « collègue de maison » pour allumer une clope que je tire d’un paquet se trouvant dans la poche arrière de mon jean. "Et toi, pourquoi tu m'as suivie" ? TILILIT ! Vous venez de remporter la palme de la question du jour ! Hum…A vrai dire je n’y ai pas vraiment réfléchi…Lore’ est adorable, elle m’a proposé d’aller faire la fête. What else ? « Il y a des gens comme ça qui te donnent envie de les suivre jusqu’au bout du monde simplement parce qu’ils sont adorables, vrais et sincères. Tu ne comprends pas pourquoi mais tu sais que tu pourrais faire n’importe quoi pour eux ». C’est peut-être la réponse la plus stupide du monde mais je le pense vraiment.

La soirée prend une toute autre tournure lorsqu’on commence à s’amuser un peu. Une fille complètement bourrée s’éclate à gueuler le plus fort qu’elle peut & d’un commun accord avec Lore’ nous décidons qu’elle est bonne pour le Stupéfix. Elle réussit d’ailleurs son sort avec brio ce qui m’impressionne un peu car elle est comme moi, une née moldue. La magie n’est pas vraiment notre fort, si je puis dire, en temps normal. Nous sommes même des catastrophes géantes. Là on peut dire que Loreleï a complètement maîtrisé son sort. Merde ! Un type à l’air vachement en colère se ramène avec sa bande de potes ! On dirait bien que ce n’était pas la bonne personne avec laquelle s’amuser…« Tu lui veux quoi » ? J’ai à peine le temps de comprendre ce qu’il se passe que Lore me tire en arrière. Nous sortons du bar en tentant de nous faire oublier mais je sais que le groupe qu’on a « malencontreusement » dérangé n’est pas loin. Il s’avère même qu’ils sont très proches. Je sens une pression de la part de Lore’ sur mon bras & nous détalons en courant. Il fait froid, nous ne sommes pas très couvertes mais c’est malgré tout jusqu’à la forêt interdite que nous guident nos pas. Oui, bien sûr qu’on sait qu’elle est INTERDITE (comme son nom l’indique un peu) mais nous ne sommes pas les premières –et nous ne seront pas les dernières- à enfreindre (si peu) le règlement de notre académie de magie préférée. Dans notre fuite j’ai même pensé à prendre une bouteille de vodka. Nous sommes assises à même le sol, la terre tâche nos vêtements. Nous sommes hilares et possédées par l’alcool & finalement je sombre dans le sommeil. Lorsque je me réveille le lendemain matin, le ciel est gris. C’est un temps d’hiver, de neige. Des milliers de flocons blancs semblent suspendus dans les airs mais ne sont pas décidés à s’abattre sur la terre. J’ai froid. Le peu de couches que je porte depuis hier s’est un peu déchiré, abimé au cours de notre fuite & de la soirée. Je resserre contre moi les lambeaux de mon pull & m’aperçois finalement que Lore’ a disparu. Je n’ai aucune idée de l’endroit ou elle se trouve. Je suis vraiment frigorifiée…Je suis assise sur une souche glacée. Je me penche vers le sol & attrape la bouteille qui n’est pas totalement vide. J’avale une consistante rasade de vodka & me laisse engourdir par la fraiche brise du matin. Mes paupières me semblent si lourdes quand j’entends un « LUKAAAAAAAAAAAAAAA ! » au loin, auquel je n’ai même pas la force de répondre. Je préfère fermer les yeux.

Le froid m’emporte, me ballote & m’entraîne dans des ténèbres que je ne connais pas. Les vapeurs d’alcool ne doivent pas beaucoup aider. Des réminiscences de la soirée de la veille se forment dans mon esprit mais je suis toujours incapable d’ouvrir les yeux. Je sais que Lore’ me cherche, je voudrais trouver la force d’ouvrir la bouche pour lui hurler l’endroit ou je me trouve mais les moindres muscles de mon corps ont décidé de ne plus obéir. J’ai l’angoisse de ce truc qu’on appelle hypothermie & une voix bienveillante effleure mon esprit. Je suis « presque » éveillée. Je suis dans un état de semi-conscience. Je ne comprends pas pourquoi mon esprit & mon corps déconnent à ce point aujourd’hui. « Luka » ! Je sens qu’elle me fout un manteau sur les épaules, pour que je ne meurs pas. C’est gentil de sa part…Et si c’était trop tard ?! Ce que je peux être négative parfois. Je sais aussi que je ne suis plus posée sur la souche à moitié congelée, c’est plutôt une bonne nouvelle. Je me doute bien qu’on a pris la route jusqu’à l’école. Espérons que j’arriverais en un seul morceau & qu’aucun membre ne tombera en chemin. Ce serait fâcheux…Quoiqu’il serait cuisiné par les fées arc-en-ciel de la forêt pour nourrir les chenilles bleues ! Ouais, ça reste un membre quand même. J’en ai encore un peu besoin, je crois. Lore’ elle me parle. Elle doit se douter que je l’entends, ou alors elle espère. Je sais qu’elle est désolée & qu’elle s’en veut terriblement. J’aimerais lui dire qu’elle n’a pas à s’en faire, que je ne suis pas rancunière, que je lui ai déjà pardonné, que je ne lui en ai jamais voulu. Je voudrais tellement qu’elle puisse m’entendre. Malgré tout nous avons passé une excellente soirée, je pense que c’est le principal. Nous ririons toutes les deux si elle pouvait m’entendre. « Tu as vu ce cerf, là bas ? Il y a toute sa famille avec lui ! Tiens ! On est arrivées dans le parc. Regardes, il y a le soleil qui se lève ! Tu as vu ces couleurs ? C'est beau ». Il fait un peu plus chaud ici & le manteau me réchauffe depuis quelques minutes déjà. J’arrive à cligner des yeux & l’image finit par m’apparaître en entier. Elle a raison, les couleurs sont superbes. L’air est froid mais c’est le petit matin, le Soleil berce le paysage. Ça a quelque-chose de féerique. Pourtant je n’ai pas le courage de parler. Nous passons devant le garde chasse & entrons dans le château. Nous terminons notre « périple » dans notre dortoir & je me retrouve allongée sur un lit qui n’est pas le miens, surement celui de Lore. Quand elle s’éloigne de moi je vois son visage marbré par les larmes. Je m’en veux un peu, beaucoup. « Dors, tu dois être vraiment fatiguée ». Pas vraiment parce que je n’avais même pas réalisé que j’étais dans la forêt pendant mon dodo de cette nuit. Même que mon amie elle se met à la guitare, elle joue si bien. Je l’admire pour ça, je l’admire pour beaucoup. Elle ne le sait pas. Elle le saura un jour ? « Je ne dors pas tu sais. J’ai vu les belles couleurs de l’aube. Tu n’as pas à t’en vouloir, on a passé une bonne soirée. J’ai survécu. C’est le principal. Je t’ai déjà pardonné ou plutôt il ne me serait jamais venu à l’idée de t’en vouloir. T’es trop importante pour moi Lore. T’es une des seules personnes ici qui pense que je ne suis pas folle » ! Tout en disant ça c’est à moi de pleurer un peu, parce que tout ce que je dis est vrai & que je n’ai jamais eu l’occasion de le dire à personne avant.