Pourquoi je suis là déjà ? Pourquoi je suis au fond d'une cellule de dégrisement avec un gars ivre qui me vomit dessus ? Ah, oui, parce que j'ai osé dire à un agent qu'il avait pris du poids depuis notre dernière petite course dans les rues de Londres, rien que ça ? Il allait me falloir un miracle pour me sortir de là sans problèmes, surtout que d'après ce que j'entendais, le "policier" en question était en train de divorcé et il avait une fille, une pauvre gamine qui se retrouvait, comme dans tous les divorces, au milieu du bordel de ses parents. Elle allait souffrir, peut-être pas autant que moi, mais ça allait pas être facile. C'était vraiment bizarre de se retrouver derrière les barreaux sans avoir absorbé de substances illicites, je comprenais tout ce qu'il se passait autour de moi, j'entendais tout le monde, les prostituées demandant aux agents s'ils avaient envie d'une petite partie de jambes en l'air, les drogués suppliant qu'on leur donne leur dose, les ivrognes crachant leur tripes imbibées d'alcool au fond de la cellule. J'étais simple spectateur pour une fois, c'était à la fois amusant et désolant.

Là, derrière les barreaux, je me rappelais la première fois que j'étais venu dans un commissariat. J'avais quatre ans, on venait de m'abandonner, ou plutôt, après avoir été quittée par mon père, un soir ma mère n'était jamais rentrée, alors je suis allé la chercher dehors mais je ne trouvais que des passants qui me demandaient où était ma maman. Et puis il y a eu cet officier de police qui me demanda mon prénom, sa voiture dans laquelle je lui répondis, le nid des poulets dont je n'ai plus peur à présent, un gros beignet pour petit déjeuner, de nombreux appels et enfin la femme en charge d'un orphelinat en banlieue de Londres. Elle fit une grimace en me voyant, peut-être ne l'avait-on pas prévenue que j'étais coloré. Je sentais qu'elle ne m'aimait déjà pas beaucoup mais ça ne faisait rien parce que je ne l'aimais pas beaucoup non plus. Elle me prit par la manche de mon T-shirt bleu avec un nounours dessus et m'emmena à l'orphelinat où ma vie de misère commença. Je demandais tous les soirs à voir ma maman, les autres enfants se moquaient de moi et les personnes qui s'occupaient de nous me disait toujours de ne pas la réclamer, que si elle m'avait abandonné c'est qu'elle ne voulait pas de moi et que si je ne l'oubliais pas on ne m'adopterait jamais et que la vie serait dure avec moi. D'ailleurs, elle ne m'a pas loupée cette garce.

Je les ai crus, je ne les avais jamais aimés eux non plus mais je les croyaient parce qu'ils semblaient avoir vécu dans cet orphelinat qui était aussi leur lieu de travail. Ils avaient l'air de savoir de quoi ils parlaient alors j'ai oublié ma sale mère, j'ai oublié mon T-shirt à tête d'ours, ma chambre dans notre appartement miteux. J'ai laissé tomber mon joli petit sourire d'enfant rêveur, j'ai causé des ennuis à toutes mes familles d'accueil, j'ai commencé ma vie de hors la loi, me joignant aux gangs de rue, draguant toutes les filles que je pouvais croiser sans avoir une vraie femme dans ma vie, essayant de tatouer ma peau bronzée sans jamais y arriver par peur de m'engager, buvant tous l'alcool possible avant de faire un coma éthylique ou de frapper un policier, me retrouvant rapidement en cellule de dégrisement comme celui qui était derrière moi en ce moment. Ma vie n'était rien de plus qu'un amas de merde fumante. J'avais tous raté, j'avais tous bousillé, on m'avait bousillé, ma mère avait un peu aidé, mon père aussi.

- Ken! C'est à toi ça ?
- Nop, m'sieur l'agent, pourquoi je vous offrirais des bonbons, vous avez assez de bide comme ça !
- Goûte-les ! Faut au moins que je sois sûr qu'il y ait pas danger avant de les manger.
- Pourquoi je ferais ça, j'aime pas les bonbons.
- Ta maman t'en donnait pas quand t'étais petit ? Ah ! Mais, suis-je bête, t'en as plus depuis longtemps de maman.
- Vous parlez plus d'elle et je mange une de vos grottes colorées, Ok ?
- On est sensible, hein? C'est d'accord, aller, goûte moi ça !

Je crois que j'aurais pu lui coller une baffe quand il a parlé de ma mère mais les barreaux étaient trop rapprochés pour que je passe mon bras. La dragée qu'il m'avait donnée n'avait pas un super goût, mais c'était mangeable alors je levais mon pouce pour dire au glouton que c'était bon, il pouvait s'enfiler la boîte mystère en entier s'il le voulait, ça ne ferait pas revenir sa femme en tout cas. Je finis par m'endormir sur le sol froid, un mal de crâne horrible à cause de l'ivrogne qui s'est mis à chanter, non, hurler comme si on lui arrachait une dent.


C'est le même sol froid qui me réveille, le même ivrogne chantant un truc à propos de Fizwizbiz et de Mustard, la même douleur au crâne, une lumière différente cependant, c'est le petit matin accompagné d'un ronflement de policier qui s'est goinfré. Je m'approche des barreaux et en prend deux entre mes mains. La porte du commissariat est grande ouverte, si seulement je pouvais les écarter, ces barreaux qui me retiennent prisonnier contre mon gré, et m'en aller ni vu, ni connu. Je ne sais pas vraiment si j'ai pensé trop fort, si dieu m'a entendu, même s'il n'existe pas, ou si c'est l'ivrogne qui a dit "Sésame Ouvre-toi !" mais je vous jure que moi, je n'ai rien fait... Pourtant, la porte vient de s'ouvrir ! Elle devait être mal fermée. Oui ça doit être ça. Je sors, c'était la meilleure chose à faire et je regarde le gros truc sur sa chaise de bureau, la boite de bonbons colorés sur son gros ventre qui menace d'exploser. Je fixe la boîte longtemps, même très longtemps avant qu'elle ne s'enflamme. Je cours, je ne sais pas pourquoi mais je sens que ça va me retomber sur le coin du nez alors qu'une fois de plus je n'ai rien fait. Je cours pensant que j'aurais dû rester pour cramer avec lui, ça aurait débarrassé le monde d'une belle andouille.

[...]

Après avoir volé une baguette magique chez Olivander, j'avais erré un peu partout dans le Londres Modlu avant de tomber sur ce Bus étrange. Les portes s'étaient ouvertes et un conducteur me sourit. Je m'attendais à ce que ce soit lui qui me parle et je fus très surpris quand je vis les lèvres de la tête de poupée vaudou remuer et produire un son.

- Alors petit, t'es perdu ?
- Peut-être, ouais.
- Monte mon garçon.
- Je suis pas votre garçon, je suis le garçon de personne.
- Comme tu voudras. Où veux-tu aller ?
- Là où je trouverais un truc pas trop ennuyant à faire...
- T'y es mon... dis-moi ton nom que j'évite de t'appeler encore "mon garçon".
- Ken.
- Ken ? Pourquoi t'es parents t'ont donné ce prénom débile ?
- C'est un surnom, un diminutif de Kendrick et mes initiales aussi, K, E et N. Bon, vous m'emmenez oui ou...
- T'y es déjà Ken le Contrôleur !
- Contrôleur de quoi ? Je suis pas contrôleur...
- T'es pas très futé, hein ? Contrôleur du Magicobus pardi ! C'est un très bon travail, pas très cher payé mais on s'ennuie pas trop et puis t'as pas l'air d'avoir un toit, le Magicobus t'offre un toit, un travail et une tonne de bons moments, crois-moi gamin, y'a pas mieux que ce vieux magicobus.
- Je suis pas un gamin...
- T'es pas un vieillard comme moi non plus que je sache ! Maintenant tu prends ton matériel de bon contrôleur, tu gardes ta baguette avec toi, la laisse pas traîner c'est précieux et assied-toi là. Tu vas accueillir nos prochains passagers.
- Mais je sais pas faire ça, moi.
-T'apprendras.
- J'ai jamais rien appris de ma vie, à part que la vie ça craint...
- Et à Poudlard alors ?
- J'y suis jamais allé, je suis pas un sorcier moi, je suis un simple "Moldu".
- J'adore les Moldus, Bienvenue dans notre monde Ken le Contrôleur Moldu du Magicobus ! Entre nous, tu l'as volée ta baguette, avoue.
- Peut-être bien...
- Aller, j'arrête de t'embêter gamin. C'est parti !