Il se souvenait encore très bien des regards assassins de son père dès qu'il eut été en âge de les comprendre. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour se rendre compte que, depuis le décès de sa mère à Azkaban, prison dans laquelle elle avait sans doute finie par mourir d'épuisement, Luam, son père, semblait le détester avec une rage qu'il ne lui avait jamais connue. Si Luke n'était pas responsable de la mort de sa mère (on aurait eu bien du mal à en accuser un gamin de neuf ans), tout en lui était pour Luam une insulte à sa mémoire. De sa stature fine, comme celle de Caitlin, à ses boucles blondes qu'il tenait tout droit d'elle, en passant par ces fossettes au creux de ses joues quand il souriait, des fossettes dont sa mère aimait à dire qu'elle les lui avait légué en héritage, tout, absolument tout, lui rappelait la femme qu'il avait aimé. Car oui, contrairement à la plupart des mariages arrangés entre sangs-purs, dans le but évident de perpétuer la qualité du sang, Luam avait aimé Caitlin de toute son âme, de tout son coeur. Il avait fait d'elle la reine de son royaume et il avait déposé le monde à ses pieds. Mais elle, elle elle était friande d'aventures et de frissons, nourrie de convictions qui finirent par la tuer et très tôt, elle décida de rejoindre les mangemorts pour servir Vous-Savez-Qui, au grand dam de Luam. Il avait voulu faire d'elle une impératrice et elle se mettait d'elle-même dans le rôle d'une servante. Le patriarche des Midnight avait eu un mal fou à le supporter mais il n'avait rien dit, par amour pour elle. Il n'y avait jamais eu qu'elle pour l'attendrir ainsi, pour faire fondre ce coeur de pierre, et encore, pour qu'il soit de pierre, eut-il fallu qu'il en ait un. Ainsi lorsque Caitlin fut jugée coupable et condamnée à Azkaban, lors des grands procès qui suivirent la défaite de Vous-Savez-Qui, Luam fut anéanti. Son semblant de dépression l'amena à délaisser ses affaires et à faire de mauvais placements qui dilapidèrent bien vite la fortune familiale, jusqu'à ce qu'il n'en reste que la manoir irlandais de Leenane. Luam ne put se résoudre à le vendre pour éponger ses dettes car il était le berceau de tants de souvenirs avec Caitlin alors il emprunta, beaucoup, à d'autres, plus riches et plus puissants. Luke devint alors, en plus de l'être honni qui lui rappelait tant sa femme, le placement futur qui devait rapporter gros. Il suffisait de lui trouver une gentille fille, issue d'une famille riche qui ferait fi de leur pauvreté pour se concentré sur la noblesse de leur nom et la pureté de leur sang, organiser un beau mariage et se servir de la fortune de la belle-famille pour remettre ses propres affaires sur les rails. Luke était alors passé de gosse délaissé à enfant hyper-surveillé. Chaque jour, il recevait maintes et maintes leçons visant à parfaire son éducation, de manière à en faire un parfait petit Lord et, voulant en faire un adulte trop vite, Luam ne fit que le brimer, encore et encore.

« Je t'avais interdit de sortir ! Quand apprendras-tu à obéir ? » Luam ne criait jamais ni n'élevait la voix, non, il n'avait pas besoin de ça. Ses prunelles grises, métalliques, la seule chose qu'il ait transmis à Luke au niveau de la génétique, vous transperçaient de part en part et vous faisaient vous ratatiner comme le dernier des sang-impur, même quand vous vous pensiez dans votre bon droit.« Mais... mais... » tenta de se justifier le gamin, « Il faisait beau et je... n'étais pas sorti depuis des mois, je... P'pa, j'étais juste dans le jardin, je le jure, je ne suis pas allé plus loin ! » « Plus loin ? Et où aurais-tu donc voulu aller, hein ? Chez ce petit pourceau de moldu qui t'as appris à jouer au fatchball ? » Le grondement sourd dans sa voix ne dissuada pas Luke d'oser d'une voix étranglée. « Le... le football, papa... » C'est là que son père eut ce rictus qui lui glaça le sang, cet air prédateur que Luke lui emprunta par la suite, juste parce que chez lui ça avait cet effet terrible. « Qu'est-ce que je t'ai dit au sujet des Moldus ? » « Ils... ils valent moins que... rien ? Ils doivent... tous être exterminés jusqu'au dernier ? » répéta-t-il docilement comme on s'attendait à ce qu'il le fasse. « Et pourquoi ? » menaça encore Luam. « Parce qu'à cause d'eux, maman est morte ? » La gifle partit si vite qu'il ne la vit pas venir mais sa joue brûlante lui confirma bien assez à elle seule que son père l'avait frappé. « Et tu oses encore le dire comme si c'était une question ? Faut-il que je te fasse apprendre encore cette leçon, Luke ? » Comme si lui seul savait ce qui se cachait derrière cette phrase apparemment anodine, Luke remue vigoureusement la tête de gauche à droite, les mains serrées dans le dos, aussi sage qu'un gamin turbulent comme lui peut l'être. « Ca me semble nécessaire à moi. » Et, sans prendre en compte les cris et les suppliques de l'enfant, Luam l'attrape par les cheveux, le traînant comme un vulgaire chien, sans prendre la peine de le laisser le suivre. Non, Luam ne connait pas la pitié, surtout pas avec son fils, comme le prouve sa façon dédaigneuse de le jeter dans la cave froide et humide située au sous-sol du manoir. Il pourrait le laisser là plusieurs jours, sans eau et sans nourriture comme il avait l'habitude de le faire auparavant mais les choses avaient changées. Après tout, ce gamin représentait son seul espoir de recouvrer un jour sa fortune. Un coup de ceinturon dans le visage entailla la joue du jeune garçon, une entaille qui lui laissera une cicatrice, comme si le Destin avait eu peur qu'il oublie. Et puis ce fut le dos et chaque parcelle de sa peau se mit à crier grâce.