Il pleut. Encore. Il pleut toujours. Les gouttes tombent comme des pierres venues des cieux, un fardeau digne de nos erreurs passées et de nos erreurs futures. Mais je ne me lasse pas, jamais, de les écouter tomber. La salle commune est vide. Mick a encore essayé de m'approcher ce matin, mais comme je n'avais que deux heures de cours avant de retourner dormir, j'ai fui comme une biche effrayée. Sara est encore dans le dortoir des filles, elle ne veut pas partir, cette fille m'agace. Elle reste là tout le temps, comme si elle n'avait nulle part où aller, et elle monopolise le lieu constamment... Mais au fond elle ne fait aucun effort. Et je ne dis pas ça parce qu'au fond je pense que je n'en fais pas non plus, je dis ça parce qu'elle a tort de ne pas en faire. « Est-ce que tu as de l'encre, pour moi ? » Je lève la tête, c'est Sara. Je plisse les yeux et fronce les sourcils, sans vraiment réaliser que je le fais. Elle ne mérite pas que je lui prête mes choses, d'ailleurs je ne prête mes choses à personne. Je n'ai néanmoins pas trouvé de raisons valables de lui refuser. Ah, si peut-être. Elle a des pieds énormes. Hallucinant. Je préfère avoir des fourmis à la place de mes orteils que des rochers. Elle me regarde fixement, ne semblant pas comprendre mon manque de réaction ; pourtant elle aurait déjà réagir, en rougissant, en baissant la tête, sachant subitement que je n'avais aucune intention de l'aider. Mais je préférais le lui dire de vive voix. « Quoi, tu es trop pauvre pour t'en acheter ? » L'ironie de la phrase me revint en pleine gueule. Moi même je manquais d'argent, alors, étais-je si niaise pour me moquer d'une fille qui elle, n'en manque pas ? Je fais semblant de ne pas avoir capté le sarcasme puant de ma phrase, et baisse la tête vers mon libre pour continuer ma lecture. Je suis adossée contre ma tête de lit, les rideaux sont à moitié déliés, et la fenêtre projette de grands losanges de lumière partout dans la chambre. Pourtant les meubles sombres, le bois brun, le parquet et la pierre ne font que la rendre plus noire. Sara ne me quitte pas des yeux. Je soupire, et sans garder mon sang froid, m'énerve. « Tu vas arrêter de me fixer, oui ? » Elle réagit instantanément. Inévitable. « C'est juste que je me demandais une chose. » Je ne réponds rien et continue ma lecture. Elle va peut-être enfin réaliser que je ne suis pas la personne qui va l'aider. « Tu ne veux pas savoir quoi ? » Lucie, calme-toi. Elle n'en vaut pas la peine. Pourtant c'est plus fort que moi. Mon estomac se tord et ma mâchoire se crispe, je serre les dents si fort qu'elle me fait presque mal. « C'est le dernier de mes souhaits. » « Je me demandais comment tu fais pour être aussi méchante, toute la journée, sans répit. » Sa réplique me glace. Elle est plus jeune, plus naïve, agaçante, rien n'aurait pu me pousser à envisager une telle réplique. Mais elle s'est défendue et je ne la blâme pas pour ça. Mais je n'ai pas le courage ni la force de répondre à sa question. Et dans une moue étrange, les lèvres déformées, et le visage soudain accablé, les traits fatigués, je me penche jusqu'à mon pot d'encre posé sur une pile de bouquins, au bout du lit, et je lui lance.

Parce qu'au fond, elle a raison. Et c'est une raison valable pour lui donner ma chose.